sexta-feira, 4 de março de 2011

Jean-Paul II et la trilogie de l’amour - Michel Schooyans

Jean-Paul II et la trilogie de l’amour

Hommage au Bienheureux Jean-Paul II

par

Monseigneur Michel Schooyans

Jean-Paul II (1920-1978-2005) apparaît de plus en plus comme le Pape de la Famille et de la Vie. Son enseignement sur ces thèmes-clé s’enracine dans les recherches qu’il a menées au long de son activité professorale à l’Université Catholique de Lublin.

Une vision personnaliste de l’homme

Pendant ces années, Karol Wojtyla a posé les bases anthropologiques d’un message qui va s’élargir pendant tout son pontificat romain. Réagissant face à l’individualisme issu de l’Illuminisme moderne, Karol Wojtyla développe une vision personnaliste de l’homme. Sans doute faut-il reconnaître que chaque homme est singulier, unique, différent de tous les autres. Mais cette originalité ne peut se découvrir et se construire que dans la rencontre avec d’autres hommes, qui lui sont semblables. C’est dans le face à face avec autrui que je découvre la différence qui me distingue de lui et la ressemblance qui nous permet de nous reconnaître différents et pourtant égaux en dignité. L’autre est pour moi mystère et lumière. Pour le Professeur Wojtyla, l’acte fondateur de toute société est un acte de liberté qui me pousse à consentir à l’existence de ceux que je rencontre dans l’éclat de leur visage ou dont je me fais le prochain par la médiation d’une institution.

L’anthropologie du Maître de Lublin est donc plus qu’une simple réflexion sur la sociabilité de l’homme, déjà reconnue dans la grande tradition philosophique occidentale. Cette sociabilité, Karol Wojtyla l’assume, certes. Il l’incorpore à sa réflexion. Mais, à ce niveau philosophique, le Professeur de Lublin donne un prolongement que les ténors de la philosophie occidentale n’avaient même pas soupçonné. Ce prolongement est procuré par la réflexion du futur Pape sur le corps humain et sur la sexualité humaine. La différentiation sexuelle est l’expression, gravée à jamais dans le corps et dans l’esprit, de la différence entre les personnes humaines. L’existence humaine se vit selon deux modalités inscrites dans la nature de l’homme. Cette dernière expression signifie que dès ses origines les plus mystérieuses, l’être humain est soit homme, soit femme. Or à mesure que l’être humain grandit, il voit croître en lui le désir d’une aide semblable à lui-même, déjà souligné dans la Genèse (cf. 2, 20). Aucun Pape, avant Jean-Paul II, n’a parlé avec autant d’élévation de la femme, dont le modèle se trouve en Marie, Mère de Dieu.

Karol Wojtyla est ainsi amené à développer une phénoménologie de l’amour humain qui le conduit à faire valoir que c’est en tant que personne que l’homme est image de Dieu. On ne voit pas comment un individu replié sur son moi pourrait refléter l’image de Dieu, puisque Celui-ci se révèle comme un brasier d’amour où les trois personnes divines se donnent et s’accueillent sans repliement sur soi-même, dans ce que Daniel-Ange a justement appelé une étreinte de feu.

Le Pape Jean-Paul II aura besoin des vingt-sept ans de son pontificat pour nous faire partager sa longue méditation sur la source trinitaire de l’amour humain. Un amour dont la construction est œuvre de liberté. L’homme d’une part, la femme d’autre part sont invités à sortir de leur moi possessif. Ils sont invités à se libérer des pièges de l’instinct qui réduirait l’amour au plaisir charnel. Pour le Pape Wojtyla, la fécondité de l’amour humain commence là où il y a libre oblation réciproque des cœurs et des corps. Et cette fécondité interpersonnelle est appelée à se prolonger dans le don de la vie.

L’initiateur de la nouvelle évangélisation

L’enseignement de Jean-Paul II sur la famille et sur la vie vient à point nommé à une époque où la famille et la vie sont rudement mises à l’épreuve. C’est par là que Jean-Paul II a été l’initiateur de la nouvelle évangélisation. Il y a un va-et-vient, dans son enseignement, entre l’annonce de l’amour divin et l’annonce de l’amour humain. Il y a un va-et-vient analogue, dans son action, entre l’annonce de la vie divine et l’annonce de la beauté de la vie reçue et partagée.

C’est ainsi que le Pape Jean-Paul II a relevé les défis majeurs auxquels l’Église est confrontée dans le monde contemporain.

Jean-Paul II a été confronté à une idéologie qui s’insinue partout depuis la Conférence de Pékin sur la Femme, organisée par l’ONU en 1995. Il s’agit de l’idéologie du genre, dont l’une des sources se trouve dans la dialectique marxiste de la lutte des classes. Cette lutte n’oppose pas seulement les bourgeois et les prolétaires ; elle oppose la femme opprimée à l’homme oppresseur. La femme, précise Engels, doit donc se rebeller contre la famille, qui est le lieu où elle subit son aliénation provoquée par la domination de son mari et par le fardeau de ses maternités. L’idéologie du genre veut en découdre avec la répartition traditionnelle des rôles masculins et féminins dans la société ; elle veut que ces rôles soient interchangeables. Elle veut même faire disparaître complètement l’importance de la distinction génitale des sexes, détruire la famille comme lieu de l’hétérosexualité, de la transmission de la vie et de l’éducation des enfants. Cette idéologie débouche donc sur un hédonisme où l’homosexualité ne pose pas de problème particulier et où, en fin de compte, tout est permis. Ce défi global se détaille en différents défis dérivés, qui s’entrecroisent, ainsi que nous allons le voir.

Défis qui portent sur le mariage lui-même. Nombreux sont en effet les courants contemporains qui réduisent le mariage à une association utilitariste et hédoniste que l’on peut faire ou défaire au gré des convenances individuelles des parties contractantes. Face à cette vision purement volontariste, Jean-Paul II explique que le mariage est un engagement libre et réciproque d’un homme et d’une femme qui s’unissent pour la vie et dont l’union est bénie par le Seigneur.

Jean-Paul II devait aussi rencontrer les difficultés soulevées par tous ceux qui font état de « nouveaux modèles de famille ». Il y aurait des familles monoparentales, homosexuelles, recomposées, etc. Le Pape Wojtyla rappelle ici que la famille est une réalité naturelle issue du mariage monogame et hétérosexuel, que les hommes ne peuvent chambouler au gré de leurs caprices individuels.

Jean-Paul II a également encouragé sans relâche les recherches sur la régulation naturelle des naissances. Il a souligné que la contraception mettait en péril l’amour humain et la famille. Interposer un obstacle - mécanique ou chimique – pour priver un acte conjugal de la nature qui lui est propre, voilà qui ne peut qu’affecter la loyauté de l’amour. Tout se passe comme si le mari disait à son épouse : « Chérie, je t’aime, à condition que tu ne sois pas féconde ». La banalisation galopante de la stérilisation féminine ou masculine ne fait que confirmer la justesse du discours du saint Pape sur ces questions.

D’ailleurs, Jean-Paul II a été l’un des premiers à montrer que la pratique contraceptive, loin de le réduire, multiplierait le nombre d’avortements. C’est en effet de la même logique contraceptive que procède un soi-disant « nouveau droit », celui d’avorter l’enfant en cas d’échec de la contraception. L’enfant, insiste Jean-Paul II, ne saurait être réduit à un objet. La contraception ancre donc l’idée selon laquelle l’enfant est un obstacle au bonheur. Il n’est plus perçu comme un don. Il est indésirable. A l’opposé, l’enfant, martèle le Pape, doit être élevé dans la famille, où le rôle éducatif de la mère est décisif pour la formation du capital humain dans toutes les dimensions de celui-ci.

Jean-Paul II a encore consacré une partie très importante de son enseignement à la place de la famille dans l’Église et dans la société. La famille se trouve à l’interface entre le privé et le public. Comme l’ont déjà affirmé les juristes romains, elle est le principe de la cité, l’origine de la société politique. Là où la famille est mise à mal, le tissu social ne tarde pas à se détériorer. Là où le mariage n’est plus considéré comme une réalité naturelle, que l’Église bénit et que la loi doit protéger, la précarisation pousse les plus vulnérables vers l’exclusion et la solidarité entre générations se fragilise. Surgit alors le spectre hideux d’un autre soi-disant « nouveau droit », l’euthanasie.

Un enseignement cohérent

Les faits observés quotidiennement montrent combien Jean-Paul-le-Grand a été clairvoyant dans son engagement et son action au service du mariage, de la famille et de la vie. Hélas, même dans l’Église, la cohérence de son enseignement n’a pas toujours été reconnue. Jusqu’aujourd’hui, le dissentiment - parfois arrogant - n’hésite pas à s’exprimer même par la bouche de personnalités de haut rang dans la hiérarchie ecclésiastique. Qu’il s’agisse de l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI (1968), de l’Instruction Donum Vitae (1987), de l’encyclique Evangelium Vitae (1995) ou de nombreux autres documents du grand Pape Wojtyla, ne manquent pas les projets insensés de « rectification » soutenus par des collaborateurs indélicats. Certains se vantent même d’avoir glissé, dans les versions polyglottes des textes pontificaux, des pièges de langage visant à affaiblir la précision, la clarté et la vigueur de la pensée de ce grand prophète de notre temps. L’histoire de l’Église, après Jean-Paul II, montre que ces mêmes machinations sont mises en œuvre –notamment à l’occasion des interviews de Benoît XVI-- pour inciter le Pasteur suprême à procéder au révisionnisme de la doctrine sur la vie, la famille, le mariage exposée par les papes précédents. Présomptueuse entreprise qui disqualifie ceux qui s’y aventurent !

Le Pape venu de la catholique Pologne a malgré tout tiré les leçons des coups fourrés que certains commissaires avaient voulu porter à Paul VI à l’époque où se préparait Humanae vitae. Il connaissait les efforts que certains déployaient pour faire passer, par exemple, des interprétations tordues d’Evangelium vitae en son numéro 73. Le Pape Wojtyla savait qu’en dépit des manœuvres de certains théologiens, le peuple de Dieu portait au fond de son cœur le respect inconditionnel de la trilogie de l’amour : mariage, famille et vie. C’est pourquoi, pendant toute la durée de son pontificat, il a suscité et stimulé des centaines de manifestations et de mouvements au service de la vie.

Puisse le Bienheureux Jean-Paul II, qui est aujourd’hui plus proche que jamais du Cœur de Jésus, continuer à faire découvrir à ces millions de chrétiens que l’Église, qu’il a tant aimée, doit être plus que jamais fidèle à sa mission : être la gardienne de la trilogie de l’amour !

Louvain-la-Neuve, mars 2011

michel.schooyans@uclouvain.be

Michel Schooyans est professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain, où il a enseigné la philosophie politique, les idéologies contemporaines et l’éthique des politiques démographiques. Il a également enseigné pendant dix ans à l’Université Catholique de São Paulo. Philosophe et théologien, Michel Schooyans est membre de l’Académie Pontificale des Sciences Sociales, de l’Académie Pontificale pour la Vie et de l’Académie Mexicaine de Bioéthique.