quinta-feira, 28 de abril de 2011

L’« herméneutique de la réforme » et la liberté de religion - par M. Rhonheimer

In Nova et Vetera

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Par Dr. Martin Rhonheimer

Professeur d’Ethique et de Philosophie politique
à l’Université Pontificale de la Sainte-Croix, Rome




Avec le Concile Vatican II l’Eglise a défini
de façon nouvelle ses rapports
avec le monde moderne : continuité ou rupture ?
Une contribution au débat contemporain sur cette question
[1]








Comme on le sait, le 22 décembre 2005, le Pape Benoît XVI s’est exprimé, dans son discours à l’occasion de la présentation des vœux de Noël à la Curie romaine, contre une interprétation largement diffusée de Vatican II, selon laquelle l’Eglise postconciliaire serait une Eglise différente de l’Eglise « préconciliaire ». Benoît XVI qualifie cette interprétation erronée du Concile d’« herméneutique de la discontinuité et de la rupture ».

Cette expression a été reprise avec empressement par les catholiques partisans fidèles du pape. L’idée que le pape ait opposé dans son discours l’herméneutique de la discontinuité à l’herméneutique de la continuité s’est largement répandue. Il semble que Robert Spaemann ait également partagé cet avis, lorsqu’à propos des tentatives d’harmonisation en matière de liberté de religion, thème qui a gagné en actualité dernièrement, il salue la mise en relief d’une continuité sans rupture entre la doctrine conciliaire et la doctrine préconciliaire (cf. « Die Tagespost » du 25.4.2009)[2].

On doit toutefois contredire cette affirmation. Dans le discours susmentionné, le pape Benoît XVI n’a pas du tout opposé l’herméneutique erronée de la discontinuité à une « herméneutique de la continuité ». Il a plutôt expliqué qu’à « l’herméneutique de la discontinuité s’oppose l’herméneutique de la réforme… » Quelle est la « nature de la vraie réforme » ? « Elle consiste, explique le Saint Père, dans cet ensemble de continuité et de discontinuité à divers niveaux ».

La relation avec l’Etat

Le Concile Vatican II doit être compris ainsi à la lumière de la catégorie herméneutique de « réforme » et non simplement de « continuité ». En effet, la « réforme » contient aussi bien des éléments de continuité que certains éléments de discontinuité. Cependant, comme le souligne Benoît XVI, continuité et discontinuité se trouvent à des niveaux différents. Identifier et distinguer entre ces niveaux différents constitue le véritable enjeu.

A cette fin, le pape précise tout d’abord : « Le Concile devait définir de façon nouvelle le rapport entre l’Eglise et l’époque moderne », et cela sous deux rapports : d’une part, par rapport aux sciences naturelles modernes ; d’autre part, « il fallait définir de façon nouvelle le rapport entre l’Eglise et l’Etat moderne, un Etat qui accordait une place aux citoyens de diverses religions et idéologies, se comportant envers ces religions de façon impartiale et assumant simplement la responsabilité d’assurer une coexistence ordonnée et tolérante entre les citoyens et leur liberté d’exercer leur religion ».

Il est clair, poursuit Benoît XVI, qu’en ce qui concerne l’enseignement du Concile « dans tous ces secteurs, dont l’ensemble forme une unique question, il pouvait ressortir une certaine forme de discontinuité et que, dans un certain sens, une discontinuité s’était effectivement manifestée ». Malgré cela, on pouvait affirmer « que la continuité des principes n’était pas abandonnée ». Or, « c’est précisément dans cet ensemble de continuité et de discontinuité à divers niveaux que consiste la nature de la véritable réforme ».

En anticipant de manière prophétique les débats actuels, Benoît XVI exemplifie « l’herméneutique de la réforme » par la doctrine conciliaire sur la liberté religieuse. Benoît XVI exprime ici exactement la différence de niveaux que les enseignements préconciliaires n’avaient pas eu la capacité de relever en raison de précises conditions théologiques et historiques. Ainsi, Grégoire XVI et Pie IX, pour ne mentionner que ces deux papes, avaient identifié le droit fondamental du citoyen moderne à la liberté de religion, de conscience et de culte à une négation de la vraie religion. Et cela car ils ne pouvaient pas s’imaginer qu’une vérité religieuse et une vraie Eglise puissent exister sans que cette dernière ne soit également soutenue par l’Etat et la politique, et respectée par le droit civil. De fait, un grand nombre de leurs adversaires libéraux plaidèrent pour la liberté de religion en présentant l’argument exactement contraire : une telle liberté est nécessaire car il n’y a pas de vérité religieuse.

L’Eglise du XIXe siècle considérait comme un désaveu de la religion chrétienne, seule vraie et unique, et comme de l’« indifférentisme » et de l’« agnosticisme », la vision « libérale » selon laquelle l’Etat n’aurait ni la compétence ni le devoir, d’une part, de se porter garant de la valeur sociale de la vraie religion et de renoncer à reconnaître à d’autres religions le droit d’existence, et, d’autre part, de limiter par la censure publique la liberté d’expression et de presse en vue de protéger la vraie religion.

Dans le magistère préconciliaire, l’enseignement de l’unique vérité de la religion chrétienne allait de pair avec l’enseignement de la fonction et du devoir de l’Etat, qui se devait de faire appliquer la vraie religion et de protéger la société de la diffusion de l’erreur religieuse. Cela impliquait l’idéal d’un « Etat catholique » dans lequel, au meilleur des cas, la religion catholique est l’unique religion d’Etat dont l’ordre juridique est toujours au service de la protection de la vraie religion.

C’est précisément par rapport à cet enseignement des Papes du XIXe siècle que se trouve le point de discontinuité, bien qu’il se manifeste en même temps une continuité plus profonde et essentielle. Comme l’explique Benoît XVI dans son discours : « Le Concile Vatican II, reconnaissant et faisant sien à travers le Décret sur la liberté religieuse un principe essentiel de l’Etat moderne, a repris à nouveau le patrimoine plus profond de l’Eglise. » Ce principe essentiel de l’Etat moderne et en même temps la redécouverte de cet héritage profond de l’Eglise constituent, selon Benoît XVI, le clair rejet d’une religion d’Etat. « Les martyrs de l’Eglise primitive sont morts pour leur foi dans le Dieu qui s’était révélé en Jésus-Christ, et précisément ainsi, sont morts également pour la liberté de conscience et pour la liberté de professer leur foi. »

La « liberté de conscience » a toujours été comprise par le monde moderne comme la liberté de culte, c’est-à-dire comme le droit de l’individu et des diverses communautés religieuses à exprimer librement leur foi, de manière publique et communautaire, dans le cadre de l’ordre et de la morale publiques, sans que l’Etat ait le droit d’intervenir pour l’empêcher. Or cela correspond exactement aux revendications des premiers chrétiens à l’époque des persécutions. Ils ne revendiquaient pas la promotion par l’Etat de la vérité religieuse mais plutôt la liberté de pouvoir confesser leur foi sans être brimés par l’Etat. Il revient au Concile Vatican II d’avoir enseigné ce droit fondamental de la personne humaine à confesser sa foi sans préjudice.

C’est bien à cela qu’a dû céder le pas l’ancienne revendication de la protection politico-juridique des soi-disant « droits à la vérité » et de la répression par l’Etat de l’erreur religieuse. Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que c’est précisément cette doctrine de Vatican II qui a été condamnée par Pie IX dans l’Encyclique Quanta cura.

Benoît XVI conclut son exemplification de l’« herméneutique de la réforme » par la doctrine sur la liberté religieuse avec cette constatation frappante : « Le Concile Vatican II, avec la nouvelle définition de la relation entre la foi de l’Eglise et certains éléments essentiels de la pensée moderne, a revisité ou également corrigé certaines décisions historiques… » Ces corrections ne signifient pas une discontinuité au niveau de la doctrine de la foi catholique et de la doctrine morale, qui est objet du magistère authentique, lequel en ce cas - même en tant qu'enseignement ordinaire - revendique l'infaillibilité. En ce sens, Benoît XVI parle d’une simple « discontinuité apparente », car tout en se débarrassant de l’ancien fardeau d’une doctrine d’Etat dépassée, l’Eglise « a maintenu et approfondi sa nature intime et sa véritable identité. L’Eglise est, aussi bien avant qu’après le Concile, la même Eglise une, sainte, catholique et apostolique, en chemin à travers les temps… »

Bref, la doctrine de Vatican II sur la liberté religieuse n’implique aucune réorientation dogmatique, mais plutôt une réorientation de la doctrine sociale de l’Eglise et, plus précisément, une correction de son enseignement sur la fonction et les devoirs de l’Etat. Les mêmes principes immuables sont repris donc de manière nouvelle dans le nouveau contexte historique. Il n’y a aucune doctrine de foi catholique et dogmatique sur l’Etat et il ne peut pas y en avoir, exception faite des éléments déjà présents dans la Tradition apostolique et dans l’Ecriture Sainte. Or, de ces écrits est totalement absente l’idée d’un « Etat catholique » qui serait le bras séculier de l’Eglise. Ils témoignent plutôt d’une séparation entre la sphère religieuse et celle politico-étatique.

La levée partielle du vrai dualisme chrétien entre pouvoir temporel et spirituel ainsi que leur amalgame apparurent plus tard, comme conséquence de situations historiques contingentes, dont, en premier lieu, l’imposition du christianisme comme religion d’Etat dans l’Empire romain et la lutte contre l’arianisme (qui plaidait à nouveau pour une déification de l’Etat) ; en deuxième lieu, l’intégration, au cours du bas moyen âge, de l’Eglise dans les structures du gouvernement impérial et, en troisième lieu, en réaction à cette dernière, la doctrine politico-canonique du haut moyen âge de la plenitudo potestatis du pape, une doctrine de laquelle on a tiré l’idée moderne d’un Etat princier confessionnel catholique, auquel Pie IX était encore très attaché et auquel on a bien évidemment opposé son pendant protestant.

La doctrine de Vatican II représente ici un clair point tournant par rapport au passé. Une fois définitivement libérée du fardeau historique, la doctrine du Concile sur la liberté religieuse demeure essentiellement une doctrine sur les devoirs et les limites de l’Etat ainsi que sur le droit civil fondamental – un droit de la personne et non de la vérité – par lequel sont restreintes la souveraineté et les compétences de l’Etat en matière de religion. Elle est, ensuite, une doctrine sur la liberté de l’Eglise à exercer librement – à l’instar de toute autre religion – sa mission de salut aussi dans l’Etat séculier, une doctrine établie sur la base des droits corporatifs fondamentaux à la liberté religieuse. Enfin, la doctrine conciliaire affirme le devoir qu’a l’Etat de garantir, de manière neutre et impartiale et toujours dans le respect de l’ordre et de la morale, les conditions nécessaires pour que chaque citoyen puisse pratiquer sa propre religion.

Tentatives de réconciliation : un échec ?

C’est justement cette nouvelle doctrine politico-juridique soutenant que l’Etat n’est plus le bras séculier de l’Eglise gardienne de la vérité religieuse, que réfutent aujourd’hui les traditionalistes. C’est effectivement ce que le P. Matthias Gaudron, porte-parole de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X en Allemagne, a mis en exergue dans une lettre de lecteur (parue dans « Die Tagespost » du 6.6.2009). Alors que les positions plus tempérées, telles que celle du Prof. H. Klueting (cf. « Die Tagespost » du 30.05.2009, p. 18), réduisent la doctrine de Vatican II sur la liberté religieuse à une « immunité de toute conversion forcée » suggérant ainsi à tort une continuité sans rupture, le P. Gaudron met le doigt sur le point décisif : la divergence ne porte pas sur la question du rejet de la « conversion forcée » – ce point fait l’unanimité – mais sur la question de savoir jusqu’où on peut aller dans la restriction de la pratique publique d’une foi erronée et dans sa propagation. Il constate ainsi et à raison une rupture de la continuité ou, pour le dire avec Benoît XVI, la discontinuité.

Le Mémorandum « La bombe à retardement de Vatican II » adressé par le supérieur provincial allemand de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, le P. Franz Schmidberger, à tous les évêques allemands est encore plus explicite. Selon lui, la doctrine de Vatican II signifie « la sécularisation de l’Etat et de la société », ainsi que l’« agnosticisme d’Etat ». Elle représente le désaveu du droit et du devoir de l’Etat « d’empêcher aux membres de religions erronées de propager publiquement leurs convictions religieuses, en brimant leurs manifestations publiques et activités missionnaires et en leur refusant le permis de bâtir des lieux de culte ». Bref, par sa doctrine sur la neutralité religieuse de l’Etat – en fait, sa laïcité –, le Concile a renié la doctrine traditionnelle sur l’Etat catholique et sur le Royaume social de Jésus-Christ. En réalité, poursuit le P. Schmidberger, suivant en cela l’archevêque Lefebvre, « Jésus-Christ est le seul Dieu et la croix la seule source de salut ». Par conséquent, « il revient aux dirigeants d’Etat de faire valoir dans la société, autant que cela est possible, cette revendication d’exclusivité ».

Ici, il n’y a pas de point commun ou de continuité avec la doctrine de Vatican II. Je considère comme inutiles et concrètement erronées toutes ces tentatives d’harmonisation mises en œuvres par des[4] théologiens tels que Basil Valuet[3], auquel fait référence Spaemann, ou Bertrand de Margerie, et cela malgré leur effort méritoire d’obtenir une reconnaissance de la part des croyants traditionalistes, en vue de leur réconciliation avec le dernier concile. En réalité, ces tentatives sèment plutôt la confusion, car de tels plaidoyers masquent le véritable problème et par-là l’originalité de la doctrine du Concile Vatican II. Les arguments utilisés sont faux car ces tentatives d’harmonisation ne tiennent pas compte du contexte politico-juridique et de la distinction de niveaux mis en évidence par Benoît XVI.

On ne peut donc pas affirmer, comme le fait Bertrand de Margerie, que tant pour le pape Grégoire XVI que pour le Concile Vatican II la liberté de presse n’est pas illimitée, de sorte qu’il y a continuité entre la condamnation de la liberté de presse par le pape Grégoire XVI et la doctrine de Vatican II. En réalité, alors que le pape Grégoire plaidait pour une censure de la presse par l’Etat sous contrôle ecclésiastique en vue de servir la vraie religion, Vatican II – comme d’ailleurs déjà les libéraux au XIXe siècle – fait référence aux limites de la liberté de presse et de conscience présentes dans les droits accordés aux citoyens, droits définis par la loi et avec possibilité de recours et en tenant compte de l’ordre et de la morale publiques. Ces limites correspondent à la logique de neutralité et de laïcité propre de l’Etat constitutionnel, libéral et démocratique, face aux revendications religieuses de vérité, et n’ont rien à faire avec une « protection de la vraie religion » et une protection du citoyen de la « peste de l’erreur religieuse » ni avec une censure d’Etat exercée au service et au prorata de l’Eglise (comme le pratiquait le Saint-Office – aujourd’hui la Congrégation pour la doctrine de la foi – dans l’Etat ecclésiastique du XIXe siècle régi par le droit canonique).

De même, la tolérance telle qu’elle est encore enseignée par Pie XII dans son discours Ci riesce du 6.12.1953, et qui ne peut être exercée en matière de religion que « dans certaines circonstances » et selon le jugement d’appréciation de l’« homme d’Etat catholique », n’ouvre non plus la voie à la liberté religieuse. Et cela en raison du droit civil fondamental de la personne humaine qui limite la compétence du pouvoir d’Etat dans les questions religieuses. Sur cette base, de tels jugements d’appréciation de « l’homme d’Etat catholique » relatifs à la tolérance ne sont désormais plus possibles, car ils seraient contraires au droit. Ainsi il ne peut pas y avoir de soi-disant « droit à la tolérance », ce qui selon Basil Valuet se retrouverait chez Pie XII et serait conforme à la doctrine de Vatican II.

En aucun cas il ne s’agit ici – comme l’écrit Robert Spaemann – d’un « conflit de principes sans conséquents », mais bien plutôt de la question fondamentale concernant la relation de l’Eglise à la modernité, en particulier à l’Etat constitutionnel libre et démocratique et, bien davantage, de la question de la compréhension que l’Eglise a d’elle-même ainsi que de son rapport au problème de la contrainte dans le domaine religieux.

En fait, bien que l’Eglise ait de tout temps refusé l’idée de la conversion forcée, elle n’a généralement pas repoussé l’idée de la contrainte en matière religieuse. Au contraire, l’Encyclique Quanta Cura (1864) de Pie IX ne visait pas les athées libéraux, mais le groupe influent des catholiques libéraux réunis autour du politicien français Charles de Montalembert. Il s’agissait notamment des catholiques orthodoxes qui ont même défendu l’existence des Etats Pontificaux (Montalembert est à l’origine du principe « Eglise libre dans un Etat libre », qui plus tard sera repris, bien que de manière différente, par Cavour) et qui, au Congrès de Malines d’août 1863, ont revendiqué la reconnaissance de la part de l’Eglise de la liberté d’association, de presse et de culte.

Mais ces revendications entrent en collision avec la position « traditionnelle » de l’Eglise, reçue en héritage du haut moyen âge, selon laquelle l’Eglise possède le droit d’user de la contrainte – à l’aide de mesures juridiques pénales – pour préserver les chrétiens de l’apostasie. « Embrasser la foi, c’est affaire de liberté », écrit Thomas d’Aquin, « mais la garder quand on l’a embrassée est une nécessité » (Summa theologiae II-II, 10, 8, ad 3). Les théologiens qui ont étudié le Quanta Cura se réclament de ce principe. On l’a compris de telle manière qu’on a considéré du devoir de l’Etat, conçu comme bras séculier de l’Eglise, de préserver les fidèles, par le biais de la censure et du droit pénal, des influences dangereuses pour la foi et de l’apostasie.

C’est pour cette raison que Pie VI avait condamné la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de la Révolution française, dans son Bref Quod aliquantum de 1791. Elle représente l’apostasie publique de toute une nation. Pour les catholiques, revendiquer la liberté religieuse c’est l’affaire d’un Etat d’infidèles ou de juifs. Mais puisque la France est une nation chrétienne et les citoyens français sont des chrétiens baptisés, il ne peut pas y avoir de liberté civile générale de confesser une religion autre que la vraie religion catholique. Pie VI le précise : les non-baptisés « ne peuvent pas être contraints à obéir à la foi catholique ; les autres par contre doivent l’être (sunt cogendi) ».

Dans son discours de 2005, Benoît XVI prend la défense de la première phase, celle « libérale », de la Révolution française – qu’il distingue ainsi de la seconde, la phase jacobine, plébiscitaire et radical-démocratique, qui amena la Terreur de la guillotine. Ce faisant, il réhabilite également la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789, issue de l’esprit du parlementarisme représentatif et de la pensée constitutionnelle américaine.

La perspective du Concile

Vatican II a eu le mérite de surmonter l’assimilation typique effectuée par la doctrine préconciliaire de la liberté religieuse à l’« indifférentisme » et à l’« agnosticisme ». Il s’agit, pour ce qui concerne le magistère de l’Eglise, d’une étape historique qui ne peut être comprise qu’à la lumière de l’« herméneutique de la réforme » préconisée par Benoît XVI.

Il vaut la peine de se pencher sur cette exigence et ne pas la délayer dans de faux efforts de continuité, ce qui reviendrait à altérer la véritable continuité et par là l’essence même de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique.

Et qu’en est-il de la « doctrine catholique sur le devoir moral de l’homme et de la société vis-à-vis de la vraie religion et de l’unique Eglise du Christ » qui, d’après les déclarations du Concile sur la liberté religieuse, devrait être « intangible » ? Effectivement, cette affirmation est souvent citée pour suggérer la « continuité sans rupture » dans la tradition de l’Eglise concernant, entre autres, la liberté religieuse. Sur ce point le Concile semble en effet être resté ambivalent.

Mais cette affirmation n’est pas aussi ambivalente qu’elle paraît, car ces devoirs moraux – comme le dit le texte susmentionné – ont pour condition « l’immunité de toute contrainte dans la société civile ». L’ancienne doctrine sur les devoirs de l’Etat comme bras séculier de l’Eglise semble ne plus tenir face au discours sur les devoirs des « hommes et des sociétés vis-à-vis de la vraie religion et de l’unique Eglise du Christ ».

Quels sont ces devoirs, c’est entre-temps une autre interprétation également correcte de cette phrase contestée à le suggérer. Il s’agit du Catéchisme de l’Eglise catholique (n. 2105) – un document du magistère de l’Eglise – qui affirme, en citant le passage susmentionné, que c’est le devoir tant de l’individu que de la société « de rendre à Dieu un culte authentique ». Ce que l’Eglise réalise « en évangélisant sans cesse les hommes », afin qu’ils puissent pénétrer d’esprit chrétien « les mentalités et les mœurs, les lois et les structures de la communauté où ils vivent ».

En revanche, on demande à chaque chrétien de faire connaître « l’unique vraie religion qui subsiste dans l’Eglise catholique et apostolique ».

Telle est la manière – conclut l’article du Catéchisme de l’Eglise catholique – par laquelle l’Eglise manifeste « la Royauté du Christ sur toute la Création et en particulier sur les sociétés humaines ». La perspective de Vatican II est donc l’annonce de l’Evangile par l’Eglise et par l’apostolat des fidèles visant à pénétrer d’esprit chrétien les structures de la société. Pas un mot, par contre, sur l’Etat qui en tant que bras séculier de l’Eglise serait censé protéger le « droit à la vérité » même avec la force et par là établir la royauté du Christ sur la communauté des hommes. La discontinuité est évidente. Et plus évidente encore est la continuité là où elle est vraiment essentielle et donc nécessaire.

* * *

Annexe. Continuité et discontinuité : qu’en est-il de l’infaillibilité du Magistère ?

Les réactions de quelques théologiens au sujet des réflexions ici exposées, ont relevé que mon interprétation mettrait en doute l’infaillibilité du magistère de l’Eglise, et donc qu’elle n’est pas acceptable car mes observations suggéreraient une réelle rupture dans la continuité du magistère ordinaire universel. Or, en déclarant la liberté religieuse comme un droit naturel, la doctrine de Vatican II sur la liberté religieuse a introduit une véritable nouveauté, sans pour cela entrer en conflit avec les déclarations magistérielles antérieures qui ne contemplaient pas encore un tel droit naturel. Pour cette raison on ne devrait pas parler de discontinuité, mais plutôt d’un élargissement de perspective. En effet, les condamnations de la liberté religieuse par les papes du XIXe siècle auraient eu une valeur disciplinaire et non doctrinale.

Bien qu’il ne revienne pas au philosophe moral ou au philosophe politique d’aborder ces questions fondamentales proprement théologiques, il est toutefois indispensable dans ce cas – également pour éviter tout malentendu – de compléter ce qui me paraît nécessaire. Pour ma part, je considère la question comme réglée par ce que je viens de dire. En effet, de mon interprétation des relations entre la dimension historique et celle purement théologique il aurait dû déjà clairement ressortir qu’elle ne remet nullement en question l’infaillibilité du magistère de l’Eglise, ni celle du magistère ordinaire universel. Cela se manifeste déjà à partir de la distinction entre les deux niveaux, d’une part, le niveau des principes de la doctrine de la foi catholique et, d’autre part, celui de leur application historique concrète, comme préconisé aussi par le discours de Benoît XVI. Il reste que celui qui ne peut consentir à cette distinction aura sûrement de la peine à suivre mon argumentation. Afin de montrer pourquoi je considère la critique exposée plus haut comme erronée et ses craintes respectives comme infondées, je vais essayer d’expliquer davantage cette distinction en réfutant les objections susmentionnées. Pour ce faire, je vais procéder en cinq étapes.

1. La question de l’infaillibilité

L’infaillibilité du magistère – affirme le Compendium du Catéchisme de l’Eglise catholique – « s’exerce quand le Souverain Pontife, en vertu de son autorité de suprême Pasteur de l’Eglise, ou le Collège des Evêques en communion avec le Pape, surtout lorsqu’ils sont rassemblés en Concile œcuménique, déclarent par un acte définitif une doctrine relative à la foi ou à la morale ». De même, l’infaillibilité du magistère universel du Collège des Evêques s’exerce « quand le Pape et les Evêques, dans leur magistère ordinaire, sont unanimes à déclarer une doctrine comme définitive » (n. 185). Cette infaillibilité ne concerne pas seulement le dogme au sens strict, mais la totalité de la doctrine de la foi et de la morale, y compris l’interprétation de la loi morale naturelle et toute autre déclaration ayant un rapport historique ou logique intrinsèque avec la foi, sans laquelle le dogme ne pourrait être correctement compris ou conservé.

Le premier cas – définition ex cathedra ou Concile œcuménique – n’est manifestement pas concerné par la question de la liberté de religion. En effet, le premier et jusqu’à ce jour le seul concile à s’être exprimé sur ce sujet a été le Concile Vatican II. Il revient justement à ce concile d’avoir reconnu la liberté de religion. De même, le magistère ordinaire universel non plus ne semble être ici concerné, car jamais auparavant le pape et les évêques n’avaient condamné la liberté religieuse et déclaré cette condamnation comme une doctrine définitive de l’Eglise. Cela a été plutôt le cas de quelques papes isolés, compris dans un laps de temps d’une centaine d’années, et jamais d’une revendication explicite de vouloir présenter une doctrine définitive en matière de foi ou de mœurs (même si c’est ainsi que cela a été implicitement compris par les papes du XIXe siècle).

De prime abord, il semble donc pour le moins très improbable que la discontinuité relevée plus haut dans la doctrine de l’Eglise sur la liberté de religion puisse mettre de quelque manière en question l’infaillibilité du magistère y compris le magistère ordinaire universel. Ce premier constat devrait être confirmé par ce qui suit.

2. La substance doctrinale de la condamnation de la liberté religieuse par Pie IX

Si on la considère sous le rapport de sa condamnation à la fois de l’indifférentisme ou du relativisme religieux, de l’opinion selon laquelle il n’y a pas de vérité religieuse exclusive ainsi que de l’opinion que toutes les religions sont en principe égales et que l’Eglise du Christ n’est pas l’unique voie de salut, il est indéniable que la condamnation de la liberté religieuse émise par Pie IX touchait effectivement à un aspect central du dogme catholique. Tel a paru en tout cas l’enjeu véritable à cette époque. Si je dis « tel a paru » c’est parce que – comme Vatican II l’a montré – la doctrine de la vérité exclusive de la religion chrétienne et de l’unicité de l’Eglise de Jésus-Christ comme voie de salut éternel n’est en réalité nullement affectée par l’acceptation de la liberté de religion et de culte.

Comme l’enseigne Vatican II, le droit à la liberté de religion et de culte n’implique nullement que toutes les religions s’équivalent. Ce droit est en effet un droit des personnes et ne concerne pas la question de savoir en quelle mesure ce que les personnes croient contredit à la vérité. En d’autres termes, reconnaître que les fidèles de toutes les religions jouissent du même droit civil à la liberté de culte ne signifie pas que, puisque c’est le droit de tout le monde, alors toutes les religions doivent être « également vraies ».

Que cela était ce que signifiait la liberté de religion ou la liberté de culte, telle était justement, comme on l’a montré plus haut, la conviction des papes du XIXe siècle et de la théologie dominante de l’époque. Pour ces derniers cela voulait également dire qu’abandonner le principe selon lequel l’Etat d’un pays catholique a pour tâche et devoir de protéger et de favoriser la vérité catholique, de nier le droit d’exister à toute confession religieuse déviante ou, tout au plus, de la tolérer dans certaines limites et dans la mesure du raisonnable, revenait à admettre ipso facto qu’il n’y a pas une seule vraie religion et Eglise, mais que toutes les religions s’équivalent. Or, il va de soi qu’à l’époque l’Eglise ne pouvait pas accepter une telle vision des choses, et ne le peut d’ailleurs pas non plus aujourd’hui. Toutefois, aujourd’hui l’Eglise a modifié sa conception de la fonction de l’Etat et de ses devoirs vis-à-vis de la vraie religion, une conception qui en réalité n’est pas du tout de nature purement théologique ni a affaire avec la nature de l’Eglise et sa foi, mais concerne la nature de l’Etat et sa relation avec l’Eglise. Il s’agit donc tout au plus d’une question concernant un aspect de la doctrine sociale de l’Eglise.

Ainsi, lorsque Benoît XVI affirme que le Concile Vatican II « par le Décret sur la liberté religieuse a reconnu et accepté un important principe de l’Etat moderne », cela manifeste clairement une conception de la nature et des devoirs de l’Etat bien différente et opposée à la conception de l’Etat de Pie IX ainsi qu’à la vision traditionnelle de la soumission du pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Une telle discontinuité ne signifie pas de rupture avec la Tradition doctrinale dogmatique de l’Eglise, ni un détournement du depositum fidei et des « quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est » (« ce qui a été cru partout, toujours et par tous », selon le canon de Vincent de Lérins). Par conséquent, il ne peut y avoir ici de contradiction non plus avec l’infaillibilité du magistère ordinaire universel de l’Eglise, car une telle contradiction n’est de soi pas possible.

Il est vrai que la doctrine sur le pouvoir temporel élaborée à partir de la Tradition apostolique, tout spécialement de l’Ecriture Sainte – dont les Epîtres de saint Paul – contient des éléments essentiellement de droit naturel qui pour cela font aussi l’objet du magistère infaillible de l’Eglise. Il s’agit notamment de la doctrine enseignant que tout pouvoir vient de Dieu, que les gouvernants et les autorités civiles font partie de l’ordre de la création, et qu’en conscience, et donc pour des raisons morales, chacun doit obéissance à l’autorité civile et doit lui reconnaître également le droit à prendre des mesures pénales. Il serait cependant prétentieux d’affirmer que ces principes contenaient également des indications sur la relation entre l’Eglise et l’Etat, sur les devoirs de l’Etat envers la vraie religion ou le droit de l’Eglise à faire valoir ses prétentions sur le bras séculier de l’Etat, aussi au moyen de condamnations ponctuelles et de leurs conséquences civiles. Ce n’est qu’au cours du temps et sous l’influence de diverses conjonctures et besoins historiques, que de telles positions ou enseignements se sont constitués, principalement aussi en relation au combat de l’Eglise pour la libertas ecclesiae, la liberté de l’Eglise face au contrôle et à la tutelle civile et politique. Cela a été un processus extrêmement complexe, dont j’ai traité des différentes étapes dans d’autres publications[5].

A ce propos il faut également souligner que la discontinuité relevée par Benoît XVI au niveau de l’application des principes n’implique aucune rupture dans la continuité de l’intelligence du mystère de l’Eglise. Au contraire, Benoît XVI constate que : « …l’Eglise est, aussi bien avant qu’après le Concile, la même Eglise une, sainte, catholique et apostolique, en chemin à travers les temps… ». On touche là, il me semble, à la véritable préoccupation de Benoît XVI face à une « herméneutique de la discontinuité et de la rupture » qui voit dans l’Eglise de Vatican II une autre Eglise, une nouvelle Eglise. D’après le Pape, les partisans d’une « herméneutique de la discontinuité et de la rupture » auraient considéré le Concile « … comme une sorte de Constituante qui élimine une vieille constitution et en crée une nouvelle… ». En réalité, explique Benoît XVI, les Pères du Concile n’avaient pas reçu de tel mandat. En parlant de continuité et de discontinuité à différents niveaux – d’une part, celui du dogme, de l’intelligence du mystère de l’Eglise, de la compréhension de plus en plus vraie et profonde du depositum fidei de la part de l’Eglise et, d’autre part, le niveau des modes toujours concrets et contingents de son application – « l’herméneutique de la réforme » défendue par Benoît XVI ne constate aucune rupture dans la compréhension de l’Eglise. L’Eglise y est comprise plutôt comme « … un sujet qui grandit dans le temps et qui se développe, restant cependant toujours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche ».

3. Droit naturel ou droit civil ? Le cœur de la doctrine de Vatican II sur la liberté religieuse

Comme l’argumente une autre objection dans la critique citée au début de cette annexe, Vatican II proclame dans sa déclaration conciliaire Dignitatis humanae (n. 2) que « … le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même ». Or, cela signifie pour le Concile Vatican II aussi que la liberté religieuse est un droit naturel. Ce faisant, le magistère infaillible de l’Eglise s’étend jusqu’à l’interprétation de la loi morale naturelle et du droit naturel. Par conséquent, conclut l’objection, il ne peut y avoir ici ni de discontinuité ni de contradiction, et il serait donc faux d’affirmer que Vatican II a explicitement enseigné ce que Pie IX a condamné, soit le droit à la liberté de religion et de culte.

En effet, le Catéchisme de l’Eglise catholique (n. 2106) l’exprime clairement : « Ce droit [à la liberté de religion] est fondé sur la nature même de la personne humaine… ». Il est donc certainement juste de dire que le Concile Vatican II considère la liberté religieuse comme faisant partie du droit naturel. Mais il est également vrai de dire que Dignitatis humanae (n. 2) revendique que « ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse doit être reconnu dans l’ordre juridique de la société de telle manière qu’il puisse devenir un droit civil » (l’italique est nôtre). La perspective de Vatican II n’est donc pas simplement et uniquement celle du droit naturel, mais toujours aussi celle de la liberté religieuse comme droit civil (c’est-à-dire, en fin de compte, comme droit à la liberté de culte). De fait, telle était aussi la perspective de Pie IX, puisque la liberté de religion qu’il condamnait n’était autre que le droit civil à la liberté de culte revendiqué, entre autres, par l’aile catholique-libérale. Il est donc correct de dire que la revendication de la part de Vatican II de la liberté religieuse comme exigence propre du droit naturel, c’est-à-dire le droit civil à la liberté de culte, n’est autre chose que ce qui avait été condamné dans l’Encyclique Quanta cura de Pie IX et dans son annexe, le Syllabus errorum.

Le droit naturel en tant que tel n’est donc pas touché du tout par la discontinuité dont il est ici question. La contradiction ne joue qu’au niveau de la revendication du droit civil et n’est ainsi que d’ordre politique. La doctrine de Vatican II et le Quanta cura avec son Syllabus errorum ne se contredisent donc pas au niveau du droit naturel, mais au niveau de son application juridico-politique dans des situations et face à des problèmes concrets. Par ailleurs, la nouveauté introduite par Vatican II ne porte pas seulement sur son enseignement de la liberté religieuse comme droit naturel, mais également sur la nécessité qu’elle soit reconnue comme un droit civil (la liberté de culte). En d’autres termes, de la conception bien attestée de la liberté religieuse comme droit naturel, Vatican II a su tirer une nouvelle conséquence concernant l’ordre juridique positif de l’Etat. Or, Pie IX n’avait pas tiré cette même conséquence, qu’il considérait au contraire comme nocive et fausse car – à son avis – elle impliquait nécessairement l’indifférentisme religieux et le relativisme, tant du point de vue doctrinal que dans ses conséquences pratiques. En revanche, si le Concile Vatican II a pu le faire, c’est qu’il partait d’une conception différente de l’Etat et de sa relation avec l’Eglise, ce qui lui permettait de déplacer l’accent du « droit à la vérité » au droit de la personne, du citoyen considéré en tant qu’individu et de sa conscience religieuse.

Ainsi, encore une fois, ce n’est pas l’infaillibilité du magistère ordinaire dans son interprétation du droit naturel qui est en jeu ici, car dire « application » n’est pas égal à dire « interprétation ». En effet, cette dernière porte essentiellement sur ce qui concerne la loi morale naturelle et la norme morale correspondante, mais elle ne se prononce pas sur la manière dont la loi naturelle ou le droit naturel doivent être appliqués ni se préoccupe des conséquences qu’il faut en tirer à partir d’une situation historique donnée. Que le magistère s’exprime parfois sur une telle application est inévitable et peut être aussi utile. Cela dit, on ne peut toutefois affirmer qu’il s’agirait dans ce cas d’interprétations magistérielles du droit naturel ou de la loi morale naturelle susceptibles de faire l’objet de l’infaillibilité. Il s’agit là de réalisations et d’applications concrètes qui, à l’époque où elles sont entreprises, peuvent être contraignantes pour les fidèles catholiques, et exiger leur obéissance. Mais en aucun cas il ne s’agit d’enseignements qui ne pourraient être récusés par des décisions magistérielles postérieures[6].

4. Discontinuité dans la doctrine ou uniquement par rapport à l’orientation pratico-politique (disciplinaire) ?

Pour échapper au danger supposé d’une contradiction doctrinale, on pourrait cependant se réfugier derrière l’argument que les condamnations de Pie IX n’ont pas été des condamnations doctrinales, mais uniquement disciplinaires. En ce cas donc il n’y aurait pas de discontinuité doctrinale.

Or, premièrement, dans le discours du Pape de 2005 il n’est pas question d’une opposition entre, d’une part, des affirmations doctrinales et, d’autre part, des décisions de caractère pratique et disciplinaire. En fait, Benoît XVI distingue bien davantage entre « principes » et « la manière de les mettre en pratique ». Deuxièmement, je considère cette objection comme erronée aussi d’un point de vue historique, car au XIXe siècle cette question était clairement de nature doctrinale. En effet, Pie IX comprenait sa condamnation de la liberté religieuse comme une nécessité d’ordre dogmatique et non seulement comme une mesure disciplinaire (comme ce sera le cas plus tard du Non expedit, un document par lequel le Pape interdisait aux catholiques italiens de s’engager politiquement dans l’Italie laïque). Comme nous l’avons déjà dit, la revendication de la liberté religieuse ou l’affirmation que l’Eglise n’a pas le droit d’imposer aux fidèles, avec l’aide du « bras séculier », des peines ou des mesures coercitives temporelles était ressentie à l’époque comme une hérésie, ou du moins comme une manière d’y parvenir[7]. Il me semble donc tant historiquement qu’objectivement erroné d’interpréter la condamnation de la liberté religieuse de la part des acteurs de l’époque comme une simple mesure d’ordre pratico-disciplinaire.

En effet, pour Pie IX il en allait de la sauvegarde même de l’essence de l’Eglise, de sa revendication à être l’unique vérité et cause de salut. Ainsi, reconnaître la liberté de religion signifiait pour lui nier ces vérités ; cela signifiait également indifférentisme et relativisme religieux. C’est bien en cela que réside également la grandeur de ce pape qui, à partir des positions théologiques de son temps – dont toutefois il n’a pas su discerner le caractère historique – a agi certainement dans un esprit de fidélité héroïque à la foi et résisté tel un rocher dans la tourmente d’un relativisme déchaîné. Les temps n’étaient manifestement pas encore mûrs pour que l’Eglise se positionne dans ce combat défensif de manière nouvelle et différenciée[8].

C’est dans le rejet de l’indifférentisme et du relativisme religieux que se trouve le cœur toujours encore valable de cette condamnation du XIXe siècle. Cependant, que ce combat contre l’indifférentisme et le relativisme religieux soit devenu un combat contre le droit civil à la liberté de religion et de culte, cela était dû à la conception selon laquelle l’Etat est le garant de la vérité religieuse et l’Eglise possède le droit à se servir de l’Etat comme de son bras séculier pour assurer ses responsabilités pastorales. Or, une telle conception de l’Etat ne reposait nullement sur les principes de la doctrine de la foi et de la morale catholiques mais bien plutôt sur les traditions et les pratiques de droit ecclésiastique d’origine médiévale ainsi que sur leurs justifications théologiques.

A cela il faut ajouter que la discontinuité magistérielle en tant que telle n’est pas ici en question. Pour Benoît XVI il ne s’agit pas en premier lieu de la continuité du magistère mais bien de celle de l’Eglise et de la compréhension de l’Eglise. Il s’oppose à l’idée d’une rupture entre l’Eglise « préconciliaire » et « postconciliaire », telle qu’elle est représentée par les partisans d’une « herméneutique de la discontinuité et de la rupture ». Dans les déclarations magistérielles – en particulier dans celles portant sur des questions politiques, économiques et sociales – on trouve beaucoup d’éléments dépendant des conjonctures historiques. Le magistère de l’Eglise dans le domaine de l’enseignement social contient aussi, à côté de principes immuables et fondés sur la doctrine de la foi, une foule de concrétisations qui sont souvent, rétrospectivement, plutôt douteuses. Il ne s’agit pas ici d’un type d’« enseignement » semblable à l’enseignement catholique en matière de foi et de mœurs, où l’Eglise interprète la loi naturelle aussi de manière contraignante, comme dans le cas des questions concernant la contraception, l’avortement, l’euthanasie et d’autres normes morales dans le domaine bioéthique. Dans ces derniers cas, il ne s’agit pas de simples applications de la loi naturelle à des situations concrètes, mais de la détermination de ce qui appartient au juste à la loi naturelle et de la norme morale correspondante. Dans ce domaine, le magistère ordinaire universel aussi est infaillible.

Les conceptions dominantes au XIXe siècle concernant le rôle et les devoirs du pouvoir temporel vis-à-vis de la vraie religion – des conceptions fondées sur des modèles médiévaux et de l’Antiquité chrétienne tardive mais qui ont acquis leur forme définitive seulement au sein de l’Etat confessionnel moderne – ne peuvent que très difficilement revendiquer pour elles-mêmes le privilège de reposer sur la Tradition apostolique ou d’être un élément constitutif du depositum fidei.

De même, ces conceptions n’appartiennent guère aux vérités qui possèdent une relation historique ou logique nécessaire avec les vérités de la foi ou le dogme, vérités qu’il serait en l’occurrence nécessaire de maintenir afin de conserver et d’interpréter correctement le depositum fidei[9].

En revanche, il paraît qu’à l’origine le christianisme ait même adopté une position plutôt opposée. Il est né et s’est développé dans un milieu païen, il s’est conçu, à partir de l’Evangile et de l’exemple de Jésus-Christ, comme fondé essentiellement sur la séparation entre religion et politique, et il n’a requis de l’Empire romain que la liberté de pouvoir se développer sans entraves. En reconnaissant et faisant sien à travers son Décret sur la liberté religieuse un « principe essentiel de l’Etat moderne », affirme Benoît XVI dans son discours, le Concile Vatican II « a repris à nouveau le patrimoine plus profond de l’Eglise. Celle-ci peut être consciente de se trouver ainsi en pleine syntonie avec l’enseignement de Jésus lui-même (cf. Mt 22, 21), comme également avec l’Eglise des martyrs, avec les martyrs de tous les temps ».

Cependant, le recours à l’Evangile et aux premiers chrétiens est un thème qui n’a pas été mentionné uniquement par Benoît XVI. Il constitue davantage le cœur de l’argumentation de Dignitatis humanae, qui consacre deux paragraphes à une telle réflexion sur les origines (n. 11 et 12). Le Concile explique laconiquement : « L’Eglise, donc, fidèle à la vérité de l’Evangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres, lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Révélation divine » (n. 12). C’est bien le recours à l’Evangile, à la tradition apostolique et au témoignage des premiers chrétiens qui, comme le souligne Benoît XVI, ont « rejeté clairement la religion d’Etat », qui caractérise vraiment la doctrine sur la liberté religieuse de Vatican II. Ainsi, la conception des tâches et des devoirs de l’Etat envers la vraie religion, qui faisait autorité pour Pie IX, a été tacitement classée par l’acte du Magistère solennel d’un concile œcuménique[10].

5. Fidélité à la foi, Tradition et Modernité politique

Le Concile Vatican II a libéré l’Eglise d’un lest historique séculaire, dont les origines ne remontent pas à la tradition apostolique et au depositum fidei, mais plutôt à des décisions concrètes de l’époque post-constantinienne du christianisme. Ces décisions se sont finalement cristallisées en des traditions canoniques et en leurs interprétations théologiques correspondantes, grâce auxquelles l’Eglise a essayé de défendre sa liberté, la libertas ecclesiae, des attaques incessantes des puissances temporelles (on pense notamment à la doctrine médiévale des deux glaives qui, à l’époque, cherchait à justifier théologiquement et bibliquement la compréhension de la plenitudo potestatis du pape). Cependant, au cours des siècles, ces traditions canoniques et leurs formulations théologiques ont changé de fonction et de teneur. Par la suite et dans la tradition des Etats souverains confessionnels modernes, elles sont devenues une justification de l’Etat catholique idéal, dans lequel « le trône et l’autel » existaient en étroite symbiose et l’homme d’Etat catholique plaidait avec zèle pour les « droits de l’Eglise » et non pour le droit civil à la liberté religieuse. Cette symbiose et cette vision unilatérale menant au cléricalisme et à une société cléricale n’ont pas manqué d’assombrir le visage propre de l’Eglise.

Le Concile Vatican II a osé là un pas faisant époque. Cependant, cela n’a pas changé la compréhension que l’Eglise a d’elle-même ni la doctrine de la foi et de la morale catholique. Seule a été redéfinie la manière dont l’Eglise conçoit sa relation au monde et notamment au pouvoir temporel de l’Etat, une redéfinition qui en réalité se réclame des origines, pour ainsi dire du charisme chrétien fondateur, et notamment des mots mêmes de Jésus invitant à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Ni l’infaillibilité du pape ni celle du magistère ordinaire universel du collège épiscopal ne sont affectées ou amoindries par une telle démarche. Au contraire, par la doctrine de Vatican II sur la liberté de religion se manifeste encore plus clairement l’identité de l’Eglise de Jésus-Christ et combien le magistère de l’Eglise en matière de foi et de morale possède une continuité, malgré toutes les discontinuités historiques, ce qui constitue par ailleurs le fondement et l’argument le plus convaincant de la possibilité de son infaillibilité. C’est pourquoi il me semble que toute interprétation qui cherche à retoucher, au moyen d’escamotages argumentatifs compliqués, une quelconque discontinuité à ce cadre d’ensemble, n’est d’aucun soutien pour la défense de l’infaillibilité du magistère de l’Eglise. Tout étant motivée par des raisons pastorales en soi compréhensibles et valides, mais de fait de manière pratiquement erronée, une telle interprétation complique inutilement les choses. Par l’évidence de ses intentions concrètes visant la politique ecclésiastique, elle peut même avoir un effet contre-productif en portant atteinte ainsi à la crédibilité du magistère.

Par contre, à ceux qui, comme les traditionalistes réunis autour de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X de l’archevêque Lefebvre, ne savent plus apercevoir dans l’Eglise de Vatican II « l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique » de la Tradition et parlent d’une rupture désastreuse avec le passé, on peut rétorquer qu’effectivement il y a ici un différend insurmontable dans la conception de l’Eglise, tout comme de l’Etat et de ses devoirs. C’est pourquoi ces traditionalistes, pour qui manifestement « la tradition en tant que telle » et « les traditions ecclésiales » sont plus importantes que la tradition apostolique[11], la seule qui soit au fond normative, n’accepteront guère les tentatives de médiation susmentionnées, car elles passent à côté du cœur du problème, qui n’est autre que la discontinuité réellement existante.

Dans une réaction à Robert Spaemann et à mes déclarations sur le thème de la liberté religieuse publiée sur internet, le Père Matthias Gaudron cite l’une de mes affirmations : « Il n’y a aucune doctrine de foi catholique universelle et dogmatique sur l’Etat et il ne peut y en avoir » et il remarque à ce propos : « Si cela est vrai alors le nouveau magistère de Vatican II n’est pas non plus dogmatique, mais lui aussi sujet à changement. Par ce fait même, personne ne peut donc reprocher à la Fraternité Saint Pie X de critiquer ce magistère[12]. » En effet, l’enseignement de Vatican II sur la liberté religieuse comme droit civil n’est sûrement pas de nature dogmatique. Cependant, il s’agit du Magistère solennel d’un concile œcuménique et, à ce titre, il doit être accepté par les fidèles avec une obéissance religieuse (pas moins, voire même plus que les condamnations de Pie IX en son temps). En tout cas, il ne peut constituer une raison de justification d’une division de l’Eglise. De plus, la position des traditionalistes ne se limite pas à affirmer qu’on peut critiquer cet enseignement, mais il va jusqu’à affirmer que cet enseignement est hérétique et que l’Eglise de Vatican II n’est plus la véritable Eglise de Jésus-Christ. C’est pourquoi l’argumentation du Père Gaudron passe aussi à côté du problème lorsqu’il écrit : « Il doit donc être permis au sein même de l’Eglise de critiquer un enseignement qui contredit l’ensemble des déclarations précédentes de l’Eglise et d’y opposer des objections importantes aussi d’un pont de vue juridique et politique. Il s’agit ici du droit d’avoir un avis différent… » Je considère cette déclaration comme malhonnête, car le problème n’est pas que les membres de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X « critiquent » l’enseignement conciliaire, mais bien qu’ils prétendent que la conception traditionnelle de l’Etat et des relations entre l’Etat et l’Eglise – en particulier la vision selon laquelle l’Etat a le devoir de promouvoir la religion catholique et dans la mesure du possible d’entraver l’expansion d’autres religions par des moyens coercitifs tout comme par la condamnation afférente d’un droit civil à la liberté de religion et de culte – soit un élément constitutif de la doctrine de la foi catholique, de sorte qu’en refusant cette conception le Christ a été « détrôné » et l’Eglise trahie. Face à une telle conception, le principe libéral de la liberté religieuse fait figure d’apostasie, l’Eglise de Vatican II n’est plus la véritable Eglise catholique et les ordinations épiscopales schismatiques de 1988 se trouvent en fin de compte justifiées[13].

Le Concile Vatican II nous place effectivement devant un choix : le choix entre, d’une part, une Eglise qui essaye d’affirmer et d’imposer sa vérité et ses devoirs pastoraux au moyen du pouvoir civil et, d’autre part, une Eglise qui reconnaît – ce pour quoi plaide Dignitatis humanae – que « la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance » (n. 1). Il ne s’agit pas ici de deux Eglises distinctes au sens dogmatique ou constitutionnel, mais bien de deux Eglises qui comprennent de manière différente leurs relations au monde et à l’ordre temporel. Vatican II ne plaide ni pour un Etat strictement laïc – au sens de la laïcité française traditionnelle – ni pour le bannissement de la religion dans la sphère privée, mais pour une Eglise qui ne prétend plus vouloir imposer la royauté du Christ au moyen du pouvoir temporel et qui par ce fait même reconnaît à l’Etat moderne séculier - non militant - sa laïcité politique.

Telle est justement la perspective de Vatican II. Elle a été confirmée par la Note doctrinale à propos de certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique de la Congrégation pour la doctrine de la foi du 21 novembre 2002. Au n. 6 de cette Note on lit que « la laïcité, comprise comme autonomie de la sphère civile et politique par rapport à la sphère religieuse et ecclésiastique » représente pour la doctrine morale catholique « une valeur acceptée et reconnue par l’Église, qui appartient au patrimoine acquis de la civilisation ». Tout en n’étant pas moralement autonome – il doit bel et bien satisfaire à des critères moraux fondamentaux et objectifs–, l’Etat n’est par contre pas obligé de reconnaître une vérité religieuse ou une vraie Eglise plus que d’autres confessions ou communautés religieuses. En tant qu’Etat et pouvoir civil de coercition, il se déclare incompétent pour juger sur les questions religieuses de la vérité ou sur les privilèges afférents. Les devoirs et les buts de l’Etat sont de nature différente, même lorsqu’il se montre concerné par la vie religieuse du citoyen ou sait reconnaître dans une religion déterminée, profondément ancrée dans la tradition d’une nation, la vérité même de sa culture et de sa vie publique. En réalité, son action n’est finalement orientée que par les principes politiques de la justice et de l’égalité de toutes les confessions et par la reconnaissance des mêmes droits pour tout le monde. « Le pouvoir civil, dont la fin propre est de pourvoir au bien commun temporel, doit donc, certes, reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il faut dire qu’il dépasse ses limites s’il s’arroge le droit de diriger ou d’empêcher les actes religieux » (Dignitatis humanae, n. 3).

La mission de la prédication de l’Evangile par l’Eglise et par les apostolats des fidèles laïques qui s’y fondent consiste à pénétrer de l’esprit du Christ les structures de la société et par là à favoriser la manifestation de la royauté du Christ. Le règne du Christ ne commence pas par la confession publique de la vraie religion, mais par l’annonce de l’Eglise dans le cœur des hommes jusqu’à le faire pénétrer par l’action apostolique des fidèles ordinaires dans toute la société humaine ainsi que dans toutes ses structures et réalités de vie.



[1] Le présent article a paru pour la première fois en langue allemande dans « Die Tagespost » du 26 septembre 2009, p. 14, et online sur KATH.NET le 28 septembre 2009. Traduction française de Marta Rossignotti Jaeggi et Christiane Gäumann-Gignoux. Une traduction espagnole de cet article figure en annexe de M. Rhonheimer, Cristianismo y laicidad. Historia y actualidad de una relación compleja, Rialp, Madrid 2009. La version que nous présentons en ces pages reprend de manière intégrale le texte de cet article, mais a été élargie et dotée d’une annexe. Cette dernière traite de questions spécifiques concernant la continuité et l’infaillibilité du magistère universel ordinaire, des questions inhérentes à la problématique ici présentée.

[2] Quelques mois plus tard Robert Spaemann a précisé sa position dans un article paru dans la Frankfurter Allgemeinen Zeitung. Cf. R. Spaemann, « Legitimer Wandel der Lehre », in F.A.Z. 1.10.2009, N. 228, 7. Spaemann aussi parle d’un « changement du magistère » et précisément en analogie avec le changement de la doctrine de l’Eglise sur le prêt à intérêt et l’interdiction du prêt à intérêt correspondante. Que cette analogie soit vraiment pertinente me paraît toutefois douteux.

[3] B. Valuet, La liberté religieuse et la tradition catholique, 3 vol., Le Barroux, Paris 1998.

[4] B. de Margerie, Liberté religieuse et règne du Christ, Editions du Cerf, Paris 1988.

[5] M. Rhonheimer, « Cristianesimo e laicità: storia ed attualità di un rapporto complesso », in Pierpaolo Donati (ed.), Laicità: la ricerca dell’universale nella differenza, Il Mulino, Bologna, 2008, 27-138. Traduction espagnole : M. Rhonheimer, Cristianismo y laicidad. Historia y actualidad de una relación compleja, Rialp, Madrid, 2009.

[6] Montalembert aussi se plia au verdict pontifical, assurément dans l’interprétation très tempérée et approuvée par le Pape qu’en donna Mgr Félix Dupanloup, évêque d’Orléans.

[7] C’est bien d’hérétique que le rédacteur principal des travaux préparatoires de l’encyclique Quanta Cura, le conseiller du Saint-Office P. Luigi Bilio, a qualifiée l’affirmation défendue par Montalembert « L’Eglise n’a pas le droit de réprimer les violateurs de ses lois par des peines temporelles ». Voir sur ce thème l’étude remarquablement documentée de Bernard Lucien, Grégoire XVI, Pie IX et Vatican II. Études sur la Liberté religieuse dans la doctrine catholique, Éditions Forts dans la foi, Tours 1990, 185p. (l’Auteur est par ailleurs un opposant à la doctrine de Vatican II.)

[8] C’est pour cette raison que, plus tard, Pie IX approuva aussi la distinction entre « thèse » et « hypothèse » élaborée par la revue Civiltà Cattolica qu’il avait lui-même créée. Suivant cette distinction, on devrait, d’un point de vue pratico-politique, accepter et même exiger les libertés modernes comme « hypothèse » au bénéfice de la chose catholique, mais on ne devrait jamais les affirmer comme « thèse », c’est-à-dire comme étant réellement vraies et justes. Cf. la prise de position, dans ce contexte décisif, par le P. Carlo Maria Curci S. J., « Il congresso cattolico di Malines e le libertà moderne », in La Civiltà Cattolica, 2 ottobre 1863 (Serie V, vol. VIII, fasc. 326), 129-149. Avec des exceptions importantes (comme par exemple Jacques Maritain, Yves Congar ou John Courtney Murray), la théologie catholique conserva cette distinction entre « thèse » et « hypothèse » jusqu’au Concile Vatican II.

[9] Cf. Congrégation pour la doctrine de la foi, Note doctrinale sur la “Professio fidei” et en particulier Jean-Paul II, Lettre apostolique en forme de Motu proprio Ad tuendam fidem du 18 mai 1998. Dans ce dernier document on lit à propos du deuxième paragraphe de la Professio fidei : « Ce paragraphe de la Profession de foi est d’une grande importance, car il indique les vérités nécessairement liées à la révélation divine. Ces vérités, qui, dans l’étude approfondie de la doctrine catholique, témoignent d’une inspiration particulière de l’Esprit divin pour que l’Église ait une meilleure intelligence de telle ou telle vérité relative à la foi ou aux mœurs, sont liées entre elles, tant pour des raisons historiques que par une cohérence logique. » Il paraît difficile de prouver qu’une telle relation existe dans le cas en question.

[10] Il me paraît évident qu’un Etat confessionnel, au sens traditionnel du terme, soit essentiellement incompatible avec la doctrine de Vatican II et en général avec le droit civil à la liberté de religion, car, forcément, dans un Etat confessionnel les discriminations d’ordre civil, surtout dans la sphère publique, sont inévitables. L’affirmation de Vatican II au n. 6 de Dignitatis humanae (« Si, en raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent certains peuples, une reconnaissance civile spéciale est accordée dans l’ordre juridique de la cité à une communauté religieuse donnée, il est nécessaire qu’en même temps, pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses, le droit à la liberté en matière religieuse soit reconnu et sauvegardé ») ne doit pas être comprise au sens que le Concile soutiendrait ici une compatibilité entre l’Etat et la liberté religieuse, mais plutôt au sens d’une monition à abandonner toute discrimination de nature religieuse adressée aux Etats dans lesquels survivent encore des vestiges historiques du privilège accordé à une religion particulière.

[11] Voir, en sens contraire, le Catéchisme de l’Eglise catholique n. 83 et, ensuite, Concile Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum sur la révélation divine.

[12] Sie haben ihn entthront! Eine Antwort von Pater Matthias Gaudron zur Diskussion um die Religionsfreiheit, à trouver sur www.piusbruderschaft.de.

[13] Cf. aussi Mgr Marcel Lefebvre, Ils l’ont découronné. Du libéralisme à l’apostasie. La tragédie conciliaire, Editions Fideliter, Escurolles 1987 ; Bernard Lucien, Grégoire XVI, Pie IX et Vatican II, op. cit.