"Monsieur
le Président,
Le 23
avril dernier, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi visant à
permettre l’union de personnes de même sexe et l’adoption d’enfants de la
part de ces mêmes personnes, en appliquant à cette union le terme de mariage.
Cette
réforme modifie fondamentalement la conception de ce qu’est le mariage et la
famille, selon l’acception des termes usités jusqu’à ce jour et depuis des
siècles. Il ne s’agit pas d’une réforme sociale, mais d’un changement de nature
imposé à toutes les familles.
Il y a
une vingtaine d’années, au mois de juin 1993, m’a été remise la médaille d’or
de la famille française. Avec mon mari, nous avions à ce moment-là dix enfants,
le onzième est né quelques années plus tard. Ni mon mari ni moi n’avions fait de
demande pour obtenir cette médaille, mais après avoir écouté les sages avis de
notre entourage, nous avions compris qu’on ne refuse pas une décoration si rien
de fondamental ne nous oppose à l’institution qui nous la remet.
Le
jour de la fête des mères, en ce 6 juin 1993, après la messe, nous nous sommes
donc rendus à la mairie de Guidel où le maire m’a remis la médaille au nom du
préfet du Morbihan.
« La médaille de la famille est une
distinction honorifique décernée aux personnes qui élèvent ou qui ont élevé
dignement de nombreux enfants, afin de rendre hommage à leurs mérites, et de
leur témoigner la reconnaissance de la nation. », dit le code de
l’action sociale et des familles (article D215-7).
Dans
la reconnaissance que la nation octroie à ces familles, il y a la considération
d’un service. C’est le simple service, naturel mais exigeant, d’une mère et
d’un père de famille qui laissent venir à la vie les enfants qui sont nés de
leur amour. Dans la logique de l’amour, ils les éduquent, non pas seulement
pour eux et pour leur droit, mais pour construire la civilisation de demain.
« Peuvent obtenir cette distinction les
mères ou les pères de famille dont tous les enfants sont français qui, par
leurs soins attentifs et leur dévouement, ont fait un constant effort pour
élever leurs enfants dans les meilleures conditions matérielles et morales.
» (art. D215-7 id.). C’est ce qu’avec mon mari aujourd’hui défunt, nous avons
prétendu réaliser, en toute simplicité, mais au prix d’efforts parfois
considérables. Aujourd’hui, nos enfants étudient pour les plus jeunes, ou
travaillent pour les plus grands, contribuant à l’essor de notre pays.
Vous
trouvez là, Monsieur le Président, une contradiction profonde entre la
conception de la famille prônée par la République jusqu’à aujourd’hui, et ce
que vous mettez en place dans votre politique. En effet, le mariage et
l’éducation des enfants, dans votre idéologie, ne sont plus que des « droits »
qui justifient la modification des concepts naturels pour s’adapter à des
pratiques individuelles. Mais c’est la vision individualiste que vous mettez en
exergue, au détriment d’une conception vraiment socialiste de notre pays. Par
votre réforme, la famille n’est plus au service de la nation, elle n’est plus
la nation de demain ; elle est l’expression de droits individuels et est
sujette aux formes que chacun veut lui donner.
Bien
évidemment, nous n’avons jamais ignoré les modes de vie particuliers de
certains. Si nous les avons trouvés étranges, nous n’avons pas discuté ou
combattu leur liberté. Mais quelle idée absurde de vouloir les regrouper sous
le nom de famille : la filiation n’est pas un jeu de poker où gagnerait le
meilleur tricheur ! Je vois sur le site officiel que la loi votée par votre
parlement reproduit à l’identique les dispositions de la précédente pour
l’attribution de la médaille de la famille : les décorerez-vous lorsqu’ils
auront acheté en nombre suffisant les enfants dont ils auront eu envie sur ces
nouveaux marchés aux esclaves tels qu’il en existe déjà dans certains pays
étrangers ?
Le
paradoxe que vous mettez en place, par le libertarisme individualiste d’un
côté, et l’ingérence de l’Etat d’un autre dans le domaine de l’éducation met en
péril la notion même de famille. Vous voulez nous imposer des conceptions
philosophiques partisanes et opposées à la vision traditionnelle de l’homme et
de la famille dans les écoles sous le nom d’éducation sexuelle ou de morale
républicaine. La famille telle que vous la définissez désormais ne serait plus
la cellule de base de la société, apte à lui offrir la richesse humaine de
demain ; elle est le produit d’un projet individualiste tributaire de
conceptions personnelles.
Voilà pourquoi, Monsieur le Président, je
prends la décision de vous renvoyer la médaille reçue sous
la présidence de Monsieur Mitterrand. Cette distinction perd tout son sens dès
lors que la famille ne correspond plus à ce qui est prôné par les valeurs qui
en justifient l’attribution.
Je
sais qu’un certain nombre de mères de famille qui partagent mon opinion vous renverront
aussi leur propre médaille. C’est notre manière d’exprimer combien il serait
incohérent de conserver une décoration qui n’est plus qu’un leurre dès lors
qu’elle est vidée de sa valeur symbolique.
J’adresse
une copie de cette lettre à Monsieur le Maire de Guidel, commune où je réside
et où nous habitions déjà lors des naissances de nos neuvième, dixième et
onzième enfants, commune à l’initiative de laquelle je dois d’avoir reçu cette
décoration.
Je
l’adresserai également à Madame le Ministre de la Famille et je diffuserai
largement cette lettre afin de faire connaitre ma décision.
Veuillez
agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de la
considération que je dois à votre fonction,
Madame
Jean-Yves DE ROECK
née
Françoise CATTA"