In La Croix
Vous demandez un débat national sur le projet de « mariage pour tous ». Mais n’a-t-il pas eu lieu dans la presse ?
Cardinal André Vingt-Trois
: Si le débat a lieu dans la presse, c’est précisément parce que nous
avons tiré des signaux. Quand j’ai été auditionné par Christiane Taubira
et Dominique Bertinotti, il n’y avait pas beaucoup de place pour la
discussion.
C’était une promesse du candidat élu, me disait-on.
Si c’est comme cela que l’on fait la concertation… Or il ne s’agit pas
d’une réforme qui relève de la simple alternance politique, mais qui
concerne la vie de tous les Français.
Quelle forme pourrait prendre ce débat que vous souhaitez ? Des états généraux ?
Je ne suis pas spécialiste de la mise en œuvre du débat public.
Ce que je remarque, c’est qu’il n’y avait pas d’esprit de discussion. Et
depuis que nous avons posé quelques questions, on a vu surgir ici ou là
des tribunes, des libres opinions, des interviews qui ont fait
découvrir des gens qui ne sont pas d’accord avec ce projet. Comme s’ils
n’existaient pas avant !
Votre discours de samedi a suscité
des réactions parfois violentes. Certains s’en prennent à une Église
jugée arriérée, homophobe… et jugent ses prises de parole illégitimes au
nom de la laïcité. Qu’en pensez-vous ?
Vous faites allusion à deux registres d’expression différents.
Le premier correspond à la vision d’une laïcité aseptisée, qu’on aurait
mise en bocaux scellés à la fin du XIXe siècle. Et chaque fois qu’une
occasion se présente, on ouvre un bocal et on retrouve l’ingrédient tel
qu’il était dans les combats du XIXe siècle. Nous sommes habitués à
cela.
Le second registre est celui de l’invective, pour ne pas
dire l’injure publique. Il manifeste une sorte de désarroi. Quand on ne
peut pas affronter un débat raisonnable entre gens civilisés, l’injure
est une façon d’esquiver le débat.
Vous avez appelé les
chrétiens à utiliser tous les moyens d’expression de la vie
démocratique. Les appelez-vous à manifester dans la rue ?
Je les appelle surtout à se manifester, et ce de toutes sortes
de façons, par la parole, par l’organisation de rencontres, par tribunes
dans la presse… J’appelle les chrétiens à écrire des lettres
personnelles – pas des lettres préfabriquées ! – à leurs élus et s’ils
veulent manifester, qu’ils manifestent.
En 1984, c’est la rue qui a fait changer une loi importante.
Souhaitez-vous que la rue fasse changer cette loi ?
Le contexte n’est plus le même. Le sujet non plus : l’abrogation
d’un droit dont les Français jouissaient et pensaient ne pas pouvoir
perdre. Et en 1984, on pouvait compter sur les réseaux de parents
d’élèves.
Ces différents éléments ne sont pas réunis aujourd’hui.
C’est pourquoi je me place sur le plan de l’attestation des gens qui
veulent faire savoir qu’ils ne sont pas d’accord avec un projet de loi.